Démocratiser l’Europe debout!

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Intervention publique (en écoute sur Mixcloud) – Démocratiser l’Europe – Place de la République à Paris – le 13 avril 2016 – organisée par l’initiative Debout Education Populaire – &  le livre Démocratiser l’Europe

 

Dès les premières minutes de l’intervention apparaissent deux voies pour démocratiser l’Europe : transformer la machine institutionnelle ou en sortir. Sur fond d’accord tacite, place de la République, concernant le déficit démocratique.

Plusieurs participants dans le public plaident pour la sortie de l’Union européenne (UE) via un argument principal : le type de gouvernement en place. L’Union européenne serait « anti-démocratique », se rapprocherait d’une « dictature », et aurait « confisqué la démocratie » aux citoyens. Elle ne correspondrait pas au «  gouvernement du peuple par lui-même »[1]. Pour certains, c’est son état de nature. Ses fondateurs, Jean Monnet et Robert Schuman, auraient fondé un système « technocratique » dès la Communauté européenne du charbon et de l’acier pour défendre les intérêts du Capital européen  (et non seulement pour reconstruire le potentiel économique et industriel et relancer le réarmement en évitant un nouveau conflit franco-allemand). Pour d’autres, ce « projet européen » a été détourné notamment en imposant le traité de Lisbonne malgré les refus du traité constitutionnel. Ou encore, la Communauté économique européenne (CEE) aurait perdu son âme dans les années 80, lorsqu’en France la politique européenne libérale de marché a été privilégiée à la politique sociale pour devenir une « machine de guerre ». Référence sans doute faite à l’engagement français dans l’union économique et monétaire, consistant en la libre circulation des capitaux, l’institution de la Banque centrale européenne (BCE), d’une monnaie unique  et des critères de convergence.

Pourquoi  sortir de « ce projet européen-là » pour le modifier? Car la réforme des traités est aujourd’hui impossible sans unanimité des chefs d’Etat et de gouvernement cf. l’article 48 du Traité sur l’Union européenne. Car « on ne peut pas rentrer dans une machine de guerre, il faut la combattre ». En bref, même si les populations exprimaient leur volonté d’un projet démocratique européen, la machine institutionnelle resterait sourde et déterminée. C’est sans doute pour cette raison qu’un seul participant a évoqué la transformation  de l’UE par les élections parlementaires nationales et européennes. Et puis, sur la place de la République, on s’interroge aussi (ou d’abord ?) sur la démocratie nationale.

 

Face à ce public et dans son ouvrage[2], Antoine Vauchez dresse un diagnostic du patient imaginairement sain et prescrit des éléments de cure. L’Union européenne souffre d’« allergie », de « surdité », d’hermétisme à la démocratie. A la santé affichée par le « kit de la démocratie représentative », constitué d’élections parlementaires au suffrage universel direct, de partis politiques européens, de l’initiative citoyenne européenne et de l’investiture parlementaire de la Commission européenne (CE), l’auteur rappelle ses antécédents originels et les récentes cicatrices de la crise économique de 2008. Dès le traité de Rome, ce projet européen avait pour objectif premier la mise en œuvre d’un marché commun. Il se réalisa via une construction bureaucratique et judiciaire, légitimé par des caractéristiques d’indépendance et d’expertise de ses institutions. La CEE s’était immunisée de la volonté générale, des majorités idéologiques pour s’investir toute entière au service d’un bien commun constitué de la prospérité économique et l’Etat de droit. Lors de la dernière crise économique, les institutions indépendantes que sont la CE, la BCE et la Cour de justice de l’Union européenne, ont confirmé leur capture de la construction européenne en intervenant dans de nouveaux sites de gouvernance économique (Six Packs et Two Packs, mécanisme européen de stabilité financière, Troïka, union bancaire européenne). Les organes vitaux européens ne sont pas les institutions légitimées par des élections, mais les institutions indépendantes, asseyant un système technocratique. Ces dernières, à la marge des systèmes nationaux,  sont, inversement,  « au cœur » du système européen. Cette bascule renvoie la démocratie à la marge de leur stratégie qui vise prioritairement à protéger le système institutionnel.

Pourquoi soigner plutôt qu’achever? Bien que ce projet européen ne puisse s’auto réformer d’après Antoine Vauchez, son existence demeure irréversible, et les leviers de la démocratie doivent venir d’une intervention extérieure. En renforçant les pouvoirs du Parlement européen (PE)? En vain, car le PE se dépolitise en entrant dans le jeu institutionnel européen : au lieu de politiser le débat, il défend la machine institutionnelle européenne face à la vie politique nationale. Incurable? Essayons de démocratiser les institutions indépendantes en arrêtant de nier leurs assises politiques et en révélant voire instituant des controverses et des contradictions sur plusieurs piliers de leur autorité. Leurs mandats doivent être publiquement débattus. Leurs données, faits avancés et conclusions doivent être analysés à l’aulne des doctrines, des méthodologies et des instruments usités. Leur légitimité doit être interrogée et révisée : la dimension de la représentativité (des Etats, des syndicats, des langues…) pourrait accompagner celle de leur indépendance.

 

Ce diagnostic, qui s’apprécie bien plus à la lecture de l’ouvrage, n’a pas résonné que sur le sol parisien. Il  bouscule un récit de la construction européenne évaluée sur les notions d’intégration et de supranationalité. L’analyse du développement des compétences institutionnelles (transfert de souveraineté, fédéralisme) et de la mise en œuvre d’un processus de prise de décision majoritaire et contraignante, qui a pu dominer le débat depuis la fin des années 40 s’enrichit d’une problématique plus politique : de quelle(s) idéologie(s) politique(s) est faite l’Europe et pourrait-elle être demain issue? Cette problématique des différents projets européens a tout intérêt à animer les débats nationaux, tel que celui du Brexit ou de la prochaine campagne présidentielle française, qui perdent à se limiter au clivage « pour » ou « contre » un projet européen.

[1] Pierre BOURETZ, « Démocratie ». In : Olivier DUHAMEL, Yves MENY, Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p 283 à 288

[2] Antoine VAUCHEZ, Démocratiser l’Europe, Seuil, 2014

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